La concentration des enfants dans une société distraite

L’augmentation des difficultés de concentration chez les enfants est grandissante. On remet évidemment en cause les écoles et l’alimentation, à juste titre, mais il est important de considérer également l’aspect culturel d’une société toujours plus axée vers le vite, l’automatique et le raccourci.

Un problème institutionnel peut-être

On entend souvent, dans le monde de l’éducation, que les enfants d’aujourd’hui sont différents. On voit aussi les statistiques exploser concernant les diagnostiques de Troubles du Déficit de l’Attention (TDA) et de l’anxiété. En tant qu’enseignant, j’ai questionné beaucoup ma pratique et le système scolaire dans cette problématique.

La société occidentale a tendance à considérer l’éducation comme une formation à voie unique. Un parcours qui doit mener d’abord et avant tout à l’université, quelle que soit la nature ou l’aspiration des jeunes. Et ceci souvent au prix du décrochage, du dégoût d’apprendre et de la standardisation abusive .

J’ai vu trop d’enfants passionnés quitter ma classe pour le secondaire et se faire éteindre progressivement par un système scolaire orienté essentiellement vers l’évaluation et l’acquisition de connaissances et de compétences décidées en hauts lieux. Des choix faits par des administrateurs ou des théoriciens, loin de la réalité du terrain, mais surtout, loin des enfants et des jeunes adultes concernés.

Une culture de la distraction

J’ai eu l’occasion d’assister à une conférence donnée par Maggie Jackson, auteur du livre Distracted, qui m’a fait voir un aspect culturel important de ces « nouveaux enfants » : celui de l’impact des technologies sur notre société, et sur nos enfants.

La question qu’elle nous pose est celle-ci : « Qu’est-ce qui les empêche de garder le fil de leur pensée ? ». En d’autres termes, pourquoi est-ce qu’ils ne savent plus fixer leur esprit dans le lieu et le moment présent. Réponse qu’elle pense trouver dans le fait que les technologies nous portent tous, justement, à faire tomber les barrières du temps et de l’espace.

Les machines nous aident à avoir toujours plus vite ce que nous voulons et à aller toujours plus loin. Elles nous permettent de parler avec quelqu’un qui est éloigné, et nous permet également de connaître instantanément la définition du mot procrastiner sur Wikipédia. De plus, ces petites bêtes charmantes nous poussent à devenir des machines multitâches nous-mêmes.

Notre cerveau et le multitâches

Notre cerveau n’est pas fait pour travailler en multitâches. Bien sûr, il est capable d’alterner d’une fonction à une autre, mais ce n’est pas la même chose. Et lorsque nous adoptons ce mode de fonctionnement, cela a des conséquences. À court terme, notre exécution est plus lente et les erreurs plus fréquentes. Cependant, le vrai problème réside dans les conséquences à long terme.

Lors du travail en mode multitâches, nous travaillons principalement avec le cerveau primitif. C’est la partie qui s’occupe des réflexes. Autrement dit, nos décisions sont faites rapidement et sans ancrage dans un contexte ou un milieu. Cela diminue la capacité de mémorisation.

L’hippocampe, une autre partie du cerveau, est alors plutôt négligé. On le connait pour son rôle essentiel dans trois fonctions : la mémoire, la navigation spatiale et l’inhibition, c’est-à-dire la capacité à contrôler l’expression d’une pensée. Cette inhibition est d’ailleurs d’une importance capitale dans la concentration. C’est ce qui nous permet aussi, par exemple, de ne pas dire instantanément ce qui nous passe par la tête sans y avoir pensé, ou encore de ne pas accorder un adverbe sur une impulsion…

Dans un univers d’alternance continue de la pensée, on perd donc l’intégrité du moment, la mémoire contextualisée et on favorise le développement d’une hyperactivité incontrôlée de la pensée. Notre cellulaire nous rappelle nos rendez-vous, nous notifie à chaque instant de ce qui nous arrive sur la toile, nous permet de rester toujours disponibles au monde entier mais de moins en moins présents ici et maintenant.

Cela a évidemment un impact sur les enfants. Par exemple, aux États-Unis, les tests standardisés enregistrent un déclin important chez les jeunes depuis les années 80 dans le domaine de l’élaboration d’idées, une clé pour la créativité.

Les influences sur nos vies

Il est donc important que nous prenions conscience de l’influence d’Internet, des médias télévisés et des fournisseurs d’applications sur notre personne. La plupart d’entre elles nous charment avec des solutions toujours plus rapides, automatiques et raccourcies.

Les pressions extérieures également nous tirent dans cette direction. Celles de l’employeurs, du marché ou encore de la culture dans laquelle nous vivons. Un environnement à l’échelle adulte qui nous vend les vertus de la vitesse.

Les limites, support à la créativité

Les limites ont mauvaise presse aujourd’hui. On les voit comme des atteintes à la liberté et même à la créativité. Pourtant, elles sont les piliers qui permettent à l’esprit d’être créatif. Elles offrent la possibilité de s’exprimer et de se concentrer à la fois. Les plus grandes compositions musicales de tous les temps ont été composées en respectant des règles musicales de base et les plus illustres peintres ont travaillé avec des contraintes physiques qui leur ont donné un cadre dans lequel s’exprimer.

Le cerveau : un artisan

David Pye était un professeur de design de meubles qui a parlé de l’importance d’un processus artisanal qui ne produit pas un résultat prédéterminé. Maggie Jackson étend cette idée à l’esprit.

Les machines, dans leur objectif de toujours nous tirer vers l’automatisme et l’instantané, mais surtout dans leur fonctionnement qui garantit un résultat prédéterminé, sont les assassins de la créativité. Au contraire, l’humain et son esprit sont l’artisan par excellence. L’issue d’une réflexion sera toujours unique.

Les bienfaits de rêvasser

Dans l’éducation que nous donnons à nos enfants et l’environnement que nous leur offrons vient alors l’idée de donner plus de place à l’esprit. Mais aussi et surtout, de laisser place au développement de leur créativité, de ne plus les conditionner à devenir comme des machines. Développer leur créativité.

C’est là que la rêvasserie devient une proposition intéressante. Une étude a montré les effets positifs de cette pratique bien agréable : libération d’espace dans l’esprit, activité entre les deux hémisphères du cerveau et repos. Cependant, rêvasser « utile » ne se fait pas n’importe comment. Alors, sommes-nous prêts à enseigner la rêvasserie et à lui donner une place à l’école ?

Les réalités alternatives

Dans ce procès de l’environnement dans lequel vivent nos enfants, il est important aussi de questionner la part toujours grandissante des réalités alternatives. Les univers imaginaires offerts par la fiction ont une place toujours plus importante dans la vie de nos enfants.

Nous-mêmes passons plus de temps que jamais à songer à des réalités éloignées de la vraie vie. Les séries télévisées, films, jeux et autres distractions nous amènent à penser moins au sujet de ce qui nous entoure vraiment. Nos rêvasseries sont de moins en moins « utiles ». Notre lien avec la réalité est toujours plus fragile.

Conclusion

Avoir conscience de tout cela est certainement un départ important dans la préparation d’un environnement plus « protégé » pour nos enfants. Un environnement mieux adapté et respectueux de l’artisan humain qui s’éveille peu à peu au fil des premières années de la vie des prochaines générations.

Mais c’est également notre responsabilité de lui offrir cela dans le but de protéger son cerveau des déviations provoquées par son exposition à une culture de la distraction. La concentration, aujourd’hui, est souvent trop associée exclusivement à une pathologie médicale. Nous ne pouvons plus nous permettre de négliger l’impact de l’environnement que nous offrons à cet embryon d’esprit qui se forme dans nos écoles et nos foyers.

Allan Nguyen

Références :

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