La période de travail libre

« Le travail libre », étonnante formule pour décrire la période pendant laquelle les enfants choisissent leurs activités dans les classes Montessori. Le mot travail vient du latin tripalium, un instrument de torture à trois pieux. Et en effet, depuis l’époque de la Rome antique le travail est plutôt mal considéré et souvent associé à la notion de labeur, de souffrance et de corvée. Au XVIIIe siècle, on commence à le percevoir comme un facteur de production, mais ce n’est qu’au début du XIXe, qu’on se met à l’envisager comme une source de liberté, grâce, notamment, à la contrepartie d’un salaire. Mais le travail que Montessori propose aux enfants n’enrichit pas, il élève. C’est un travail libérateur, car il est choisi par l’enfant et parce que son objectif est l’éducation à la liberté.

« Le travail que Montessori propose
aux enfants n’enrichit pas,
il élève. »

Selon Montessori, chez l’enfant, le travail et le loisir sont synonymes. Il n’y a que l’adulte qui oppose ces deux notions, considérant que le loisir est une source de plaisir qui soulage du travail obligatoire et fastidieux. L’enfant qui choisit son activité et qui a le loisir de s’y consacrer tout entier se sent tout simplement HEUREUX, car il le fait sans crainte d’être interrompu — la tranche horaire de travail qui lui est accordée est longue d’au moins 2 heures 30 — et sans peur d’être jugé — en bien ou en mal, on ne lui imposera pas une évaluation extérieure puisque son auto-évaluation est attendue —. Ainsi, motivé par son élan vital, il se centre sur son activité choisie en accord avec son élan vital, son instinct et ses intérêts. En travaillant, il trouve à la fois, ou alternativement, du confort et du challenge. Il satisfait de cette façon plusieurs tendances humaines que Maria Montessori décrivait : apprendre, explorer et s’améliorer continuellement, sans autre but que de progresser. Sans peur de l’erreur, l’enfant chemine ainsi de tâtonnements en découvertes, d’hypothèses en trouvailles ou en nouvelles explorations, ressentant toujours du plaisir, car c’est lui qui a voulu chercher. Et même quand il tâtonne, quand le résultat escompté ne coïncide pas avec ce qu’il avait prévu, il reste motivé, car il est surpris. Cela l’aide à apprendre et redouble sa persévérence.

Le travail libre implique le libre choix de l’activité. La recherche montre bien, comme le décrit Angeline Lillard dans Montessori, une révolution pédagogique soutenue par la science (2017)[1], que le fait de pouvoir choisir renforce le sentiment de contrôle chez l’enfant, indispensable au développement de la confiance en soi et de l’estime de soi. (Deci, Schwartz, Sheinman & Ryan, 1981, Lillard p. 157[2]). Car pour s’épanouir, tout le monde a besoin de se sentir autonome et maître de lui. (Deci et Ryan, 2011[3]) Quand on peut choisir, il est prouvé que l’on devient plus performant (Patall, Cooper & Robinson, 2008, livre de Lillard p. 147[4]), qu’on a une meilleure mémoire (Perlmuter & Monty, 1977, Lillard p. 148[5]) et plus de persévérance à l’effort (Iyengar & Lepper, 1999). De plus, cela augmente la créativité (Amabile et Gitomer, 1984[6]). Le sentiment de contrôle offre à l’enfant un bien-être qui a des répercussions positives sur tout son développement.

C’est bien avant toutes ces recherches que Maria Montessori avait mis le libre choix de l’activité en place et cela était né par hasard, à la suite d’une observation qu’elle avait faite d’enfants beaucoup plus motivés et concentrés un matin où ils avaient pu choisir leurs activités sans intervention de la maîtresse. Celle-ci était en retard et elle avait, la veille, oublié de fermer le placard du matériel. C’est depuis cette découverte que les enfants travaillent librement dans les classes Montessori, c’est-à-dire qu’ils choisissent l’activité qu’ils vont faire, avec qui ils vont la faire, pendant combien de temps et où ils vont la faire (à telle table ? Sur une autre ? Sur un tapis ? Dehors ?), dans le respect de certaines contraintes bien sûr. En classe élémentaire (de 6 à 12 ans), ce sont les enfants qui choisissent les sorties et qui les organisent, ils nourrissent ainsi encore ce sentiment de contrôle de sa vie. Tout cela est possible grâce à un environnement soigneusement préparé en amont : un lieu ordonné et conçu pour stimuler l’engagement constructif avec l’aide d’un matériel sélectionné en qualité et en quantité pour être propice à la concentration et à la créativité.

Par ailleurs, le temps de travail libre permet aux enfants de travailler entre pairs ; or il est également prouvé qu’ils apprennent encore mieux lorsqu’ils interagissent entre eux, à partir de 5-6 ans. Avant cela, ils apprennent beaucoup par observation et imitation, le travail libre est encore une fois un facteur favorisant. En imitant et en collaborant, les apprentissages se font plus efficacement, dans un climat social réconfortant.


Une série de trois clips vidéos a été réalisée par la Fondation Montessori de Québec pour expliquer l’importance de ces longues périodes de travail ininterrompues. Vous pouvez les visionner et les partager ici:

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[1] Angeline Lillard phd, Montessori, une révolution pédagogique soutenue par la science , DDB, 2018, traduction de Montessori , the science behind the Genius, Oxford, 2017

[2] Deci, E. L., Schwartz, A. J., Sheinman, L., & Ryan, R. M. (1981). An instrument to assess adults’ orientations toward control versus autonomy with children: Reflections on intrinsic motivation and perceived competence. Journal of Educational Psychology, 73(5), 642-50.

[3] Deci, E. L., & Ryan, R. M. (2011). Self-determination theory. In P. A. M. V. Lange, A. W. Kruglanski, & E. T. Higgins (Eds.), Handbook of theories of social psychology (Vol. 1, p. 416-33). London: Sage.

[4] Patall, E. A., Cooper, H., & Robinson, J. C. (2008). The effects of choice on intrinsic motivation and related outcomes: A meta-analysis of research findings. Psychological Bulletin, 134, 270-300. 

[5] Perlmuter, L. C., & Monty, R. A. (1977). The importance of perceived control: Fact or fantasy? American Scientist, 65(6), 759-65. 

[6] Amabile, T. M., & Gitomer, J. (1984). Children’s artistic creativity: Effects of choice in task materials. Personality & Social Psychology Bulletin, 10(2), 209-15.Iyengar, S. S., & Lepper, M. R. (1999). Rethinking the value of choice: A cultural perspective on intrinsic motivation. Journal of Personality & Social Psychology, 76, 349-66. <

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